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L'évidence
14 juin 2015

Plus sanglant encore !

95378736

 

Réalisateur : Kenji Misumi

Année : 1972

Durée : 90 minutes environ

Budget : Inconnu d'IMDB

 

Baby Cart II : L'Enfant massacre de Kenji Misumi

 

L’Enfant massacre est souvent considéré (à tort) comme le meilleur opus de la saga Baby Cart, et c’est aussi celui qui s’est imposé au fil du temps comme le plus emblématique de la série. Quoiqu’il en soit, si L’Enfant massacre est un incontestable chef d’œuvre, il reste tout de même inférieur à ce qui est pour moi LE meilleur opus de la saga, La Terre de l’ombre. Enfin bon, pour le moment, restons au chapitre 2 et voyons ce que nous réserve L’Enfant massacre.
Les aventures d’Ogami Itto et de son fils Daigoro continuent et ils tombent cette fois-ci sur une femme dirigeant un clan de femmes-ninjas (coucou Lady Snowblood, coucou Kill Bill !!) et sur trois frères sadiques maîtres dans l’art de tuer soit
 1)avec une masse
 2)avec des griffes
3) avec un poing hérissé de pics. Pour commencer par les femmes ninjas, elles prouvent leur efficacité dans une scène particulièrement violente (qui a en partie nourri la réputation « choc » du film) où elles démembrent un yakuza de sexe masculin. De quoi pulvériser les grands principes machos de la supériorité masculine, car (je me répète), comme souvent chez Misumi, le pouvoir est dans les mains des femmes, traitées sur un pied d’égalité avec les hommes.
Alliées au clan Yaghyu, les femmes ninjas attaquent sur le bord de la route Ogami Itto en se faisant passer pour des acrobates et, lors d’une succession virtuose d’images très brèves, Kenji Misumi enchaîne des inserts sur les rayures des vêtement des femmes ninjas ! De toutes les couleurs, de toutes les tailles de toutes les formes ("de toutes les qualités en laine en soie, en fibre de coton. En fil ou en nylon" disait Nino Ferrer) et ce à une vitesse frénétique, qui donne un sentiment de vertige encore accentué par un savant zoom compensé (procédé inventé par Hitchcock pour les besoins de Vertigo en 1958, rappelons-le) sur le visage d'Ogami Itto, ce qui achève de rendre la scène absolument mythique et exemplaire, voire irremplaçable et incontournable 
Et on ne sera pas surpris de voir que tout le reste du film bénéficie de la même maîtrise technique (superposition de pellicules évoquée dans l’article sur Le Sabre de la vengeance), par exemple avec le superbe panoramique dans la bassine où Ogami Itto et son fils se lavent, la pano permettant de passer du père au fils du père au fils du père au fils sur un petit tintement musical très léger qui finit par devenir obsédant.
Dans la seconde partie du film, le héros doit faire face aux trois frères dont je parlais plus haut, qui nous sont présentés lors d’un passage d’une rare violence où nous assistons, médusés, au massacre par les trois zozos de toute une bande de pirates dont l’un d’eux braque même un fusil sur ses adversaires (ce qui n’est pas sans évoquer furtivement le passage du théâtre de Il était une fois en Chine de Tsui Hark). Cette seconde partie mise d’avantage sur l’action mais n’en délaisse pas pour autant le spectateur, puisque le film se clôt sur un affrontement mémorable dans le désert (qui n’est pas sans rappeler Le Bon, la brute et le truand) où Ogami Itto exécute les trois larrons. Mais la particularité de cette traversée se situe avant l’entrée en scène du héros, lorsque l’un des trois frères se retrouve seul dans le cadre, et plante sa griffe dans le sable. Misumi effectue alors un très beau travail sur la couleur, et le sable devient peu à peu orange puis rouge vif. Et un homme à l’état de cadavre est extirpé de sous le sable. Un deuxième, un troisième puis un quatrième subit le même sort avant que toute une véritable armée sorte du sol dans un passage incroyable aux limites du fantastique. 
Lorsqu’Ogami Itto finit par tuer à son tour les trois frères de manière pathétique dans le sens propre du terme, le cinéaste réussit à pousser à l’extrême la tendance expérimentale de sa saga en faisant un très gros plan sur la traînée de sang qui s’échappe du cou de l’un des trois frères, lequel affirme qu’il entend son cou « chanter ». Mêlant l’abstraction de ce plan à la poésie des paroles en voix off, Kenji Misumi atteint dans cette scène l’apogée de son art, allant au-delà de la simple violence pour réussir une perle rare d’une beauté à couper le souffle.
Pour en conclure avec L’Enfant massacre, j’évoquerais juste un dernier point sur le côté bien plus « conte » de ce 2e opus, notamment pour les passages de nuit qui précèdent le kidnapping de Daigoro, où l’enfant joue dans l’herbe de nuit, avec une innocence finalement feinte, trahie (en un sens, Daigoro s’est fait « voler » son enfance par Ogami Itto, un peu comme Hit Girl se la fait voler par Big Daddy dans Kick-Ass en fin de compte), au vu des massacres auxquels il participe, ce qui rappelle invariablement The Night of the Hunter. Ces passages-là, loin de marquer une pause dans le récit, comptent parmi les plus insoutenables car le spectateur sait très bien ce que risque à tout instant le jeune enfant, mais le jeune enfant en question ne le sait pas ! Le fait de mettre le spectateur dans cette position (en avance sur le protagoniste) et de créer l'attente de par ce concept est la définition même du suspense selon un certain Alfred Hitchcock. Et Misumi l’applique simplement. Mais lorsque le réalisateur de Tuer ! ajoute à cela une photographie qui capte à merveille l’obscurité des bois et le côté extrêmement « fantastique » du cadre (les bois ne sont-ils pas le lieu de déroulement de Hansel et Gretel pour ne citer que ce titre ?), on passe directement à ce qui s’appelle du grand art, s’attachant à l’aide de gros plans sur le visage de Daigoro à décrire tous ses petits jeux dans l’herbe, afin d’empêcher le spectateur d’appréhender le reste du décor. Tout l’écran est occupé par la tête de Daigoro (à l’inverse du passage dans les bois de To Kill a Mockingbird par exemple). Nous sommes pris au piège !

Kenji Misumi a atteint le sommet.
Et loin d’en redescendre, avec Baby Cart 3 : dans la terre de l’ombre, ce sommet, il le dépassera.

 

 

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